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Gorce : Un rêve de gosse

Dimanche 15 Janvier 2017, le jour se lève avec une petite bruine. Les vaches se réveillent dans les pâtures. Étienne réalise son dernier tour de troupeau. Ce matin-là, je prends les rênes de Gorce, je deviens agriculteur, je deviens éleveur. J’attends cet instant depuis près de 30 ans. A cet instant, je ne ressens ni enthousiasme ni inquiétude. Je me sens être tout simplement, comme si  tout commençait à partir de maintenant.
Voilà 7 ans que nous imaginons avec Sophie une vie de famille à la ferme et que je prépare avec Étienne la transmission. Je souhaite accomplir ces changements dans ma vie pour réaliser un rêve d’enfant. Mes parents ont une ferme en Seine Maritime. Mon père, agriculteur, ma mère, infirmière, ont vécu leurs enfances dans ce milieu agricole. Ils m’ont transmis des valeurs fortes liées au travail de la terre, la persévérance allant parfois jusqu’à l’abnégation. Avec eux, j’ai grandi dans l’idée que tout est possible si on s’en donne les moyens. Sophie a vécu une enfance citadine. Même si nous nous épanouissons depuis plusieurs années dans un mode de vie rurale, l’idée, pour elle, de vivre au cœur d’une ferme et d’y travailler chaque jour est parfois inquiétante. Serons-nous capable de faire la différence entre le travail et la vie de famille? Aurons-nous suffisamment de moments de vie hors de la ferme, vacances, weekend ? Serons-nous capable de générer suffisamment de revenu pour conserver notre qualité de vie actuelle? Je m’emploie à lui démontrer ma capacité à faire la part des choses entre travail et vie personnelle, ma capacité à l’intégrer dans les prises de décisions stratégiques concernant l’entreprise et à assumer ma part de contribution aux besoins du ménage. Je lui dépeins également le bonheur de la vie à la ferme entourés de nos animaux, les instants de plaisir à vivre au milieu de cette nature, la liberté offerte aux enfants que nous élèverons et les valeurs fortes en lien avec ce mode de vie, que nous serons en mesure de leur transmettre. Il n’en faudra pas davantage pour apaiser ses inquiétudes et obtenir son soutien entier et aimant.

J’ai découvert le domaine de Gorce et  son propriétaire, Étienne au mois de Juin 2009. Lors de cette première visite, j’ai tout de suite compris que cette ferme serait notre lieu de vie et de travail. Tout en moi m’indiquait que j’avais trouvé l’endroit pour vivre mon rêve. La maison de la ferme se situe au milieu d’un espace boisé et bocager de près de 200 hectares. L’Issoire, la Courrière et le ruisseau de chez Bonneau coulent autour de la ferme. Les bois de chênes, merisiers, châtaigniers, les haies de cornouillers, pruneliers, aubépines, houx, ronces et fougères et les prairies naturelles constitue l’écosystème naturel de ce lieu hors du commun. Ici, la vie, la biodiversité, l’esthétisme prime sur l’anthropisation du milieu. Le soir de cette visite, je suis rentrée à la maison des étoiles pleins les yeux et j’ai tout de suite partagé avec Sophie mon coup de cœur pour ce lieu. « Nous allons vivre à Gorce et nous reprendrons la ferme! » ai-je prédit. Déjà les questions ont fusé dans ma tête : Comment s’installer à Gorce sans bouleverser cet équilibre naturel? Quel projet agricole viable pourrait être développer dans cette espace?

En 2015 nous sommes partis avec Sophie pour un voyage à pied de 14 mois à travers la France, la Nouvelle-Zélande, et la Bolivie ( www.voyageenmarche.com ). Cette longue marche de 7 000 kilomètres nous a donné largement le temps d’imaginer notre projet de vie. Se lancer dans l’acquisition d’une ferme, c’est choisir avec sa famille un certain mode de vie, au plus proche de la nature mais  qui comporte la contrainte d’être géographiquement fixé. Nous avons profité de ce périple et des rencontres que nous avons faites en chemin pour discuter, bouquiner et réfléchir notamment à la place et au rôle de l’agriculture dans la société. Nous rêvons d’une agriculture paysanne de proximité, qui intègre la notion de territoire, de paysage, qui approvisionne en produits de qualité les circuits locaux en priorité, qui offre aux animaux un mode de vie équilibré en plein air au plus proche des conditions de vie naturelle, et qui développe des liens entre les citoyens.

Au retour du voyage, nous étions prêt avec Sophie à franchir le pas.  Je me suis donné six mois avec Étienne pour mener à bien la transmission de la ferme et notre projet d’installation. Ni la chambre d’agriculture, ni l’administration agricole ne pensaient qu’il soit possible d’effectuer toutes les démarches administratives en moins d’un an. J’ai utilisé toutes mes capacités, toutes mes connaissances pour relever ce défi et construire moi-même le montage économique de ce projet un peu hors norme. J’ai dû défendre mon dossier auprès des banques et des instances agricoles en respectant au mieux le calendrier fixé. Ce ne fût pas chose aisée. On parle « d’installation » en agriculture. Dans ce mot, j’entends l’immobilité, la passivité : « Installe-toi ! Nous pensons pour toi ». Et on cherche à te faire coller au plus près du système productiviste dominant . Gros tracteur, grand troupeau, nouveau bâtiment. Pas facile de faire bouger les lignes quand on a une autre idée de l’agriculture. Pour ma part, je crois qu’entreprendre, c’est une ode au dynamisme. Il faut se bouger pour « remuer » un système en place bien huilé qui a tendance à phagocyter et immobiliser le porteur de projet. « Installe toi ! Nous pensons pour toi. » Je me souviens de ce rendez-vous à la banque où l’on m’a demandé de faire valider mon business plan par un comptable agricole reconnu ou par la chambre d’agriculture. Je suis perplexe. Je m’interroge : Qui signe les emprunts ? Qui s’engage ? Le comptable, la chambre d’agriculture? Bref, je suis sorti des sentiers et  j’ai tracé mon chemin hors piste à travers la forêt du parcours à l’installation.

Ce 15 janvier 2017 au soir, je fais le tour de mon troupeau à pied. Dans ma tête et dans mon cœur, se mêlent des sentiments contraires : à la fois une certaine inquiétude face au défi à relever et à la charge de travail en perspective, mais aussi l’immense joie d’évoluer dans ces lieux, dans mon costume d’éleveur, l’excitation de démarrer un projet ancré dans son territoire et en phase avec les enjeux de notre société. Ce projet, nous l’avons imaginé tous les deux avec Sophie, ce n’est pas seulement le mien, c’est le nôtre et cela a toute son importance. Pour autant, c’est moi qui suis, chaque jour, confronté à la prise en main de cette ferme et cela génère en moi une cascade de doutes. Suis-je vraiment en capacité de mener ce projet tel que nous l’avons imaginé ? Comment concilier harmonieusement vie de famille et création d’entreprise ? Suis-je capable d’assumer la responsabilité de tout cet espace, de protéger et d’entretenir cet écosystème ? Parfois, un frisson me parcourt l’échine quand je réfléchis un peu trop. Il serait facile de vaciller face à l’ampleur de la tâche.  En même temps, je me sens plein d’élan, presque impatient et j’aimerais réaliser tout ce que nous avons imaginé en un an. Pourtant, notre projet raisonne sur 30 ans, l’échelle d’une vie professionnelle humaine. Laisser le temps au temps. Tout est question de temps, nous l’avons appris lors de notre longue marche. Rien ne sert de courir… Les choix que nous faisons aujourd’hui auront un impact dans 30 ans, 50 ans, voire plus. Planter une haie redessine le paysage, développe de nouveaux écosystèmes et modifie profondément les pratiques agricoles. Changer la race des vaches, passer de la Limousine à la Hereford, réoriente la ferme dans une autre dynamique et permet de mieux valoriser l’herbe des prairies naturelles. Au fond de moi, je sens que c’est la bonne voie. Tout semble cohérent. Mais lorsque je reçois des conseils de mes pairs, les doutes reviennent. Pour eux, ces choix de conduite d’exploitation sont trop en marge, trop « différent » du système en place. Ils ne le disent pas toujours tout haut mais je sens bien qu’ils sont inquiets. Par ailleurs, nos choix ont un impact social fort, les réactions des gens à l’exposé de notre projet en sont la preuve. Nous proposons une autre manière d’élever des animaux et d’intégrer l’agriculture à l’environnement. Cela ne laisse pas indifférent, cela interroge. Paradoxalement, nos voisins éleveurs, nos amis paysans, se plaignent du système en place, du manque de rentabilité de l’agriculture et de leurs difficultés à mener leur ferme. Nous savons qu’il faut amorcer un changement. Le système actuel est à bout de souffle.

Voilà deux ans  maintenant que nous vivons Gorce, que nous respirons Gorce chaque jour. L’évolution est rapide, surprenante et enivrante. Déjà de nombreux projets sont réalisés :

Nous avons engagé un partenariat avec Prom’haie pour réimplanter près de 3 km de haies. Ces haies vont servir à :

  • préparer l’arrivée d’un nouvel associé en créant une activité de jus de fruits et cidre
  • développer un nouvel écosystème et accroître la biodiversité, en favorisant notamment l’installation d’insectes pollinisateurs
  • réorganiser les prairies naturelles afin d’assurer un pâturage tournant efficace
  • anticiper les phénomènes extrêmes : forte pluie, sécheresse et rendre ainsi notre système plus résilient face aux changements climatiques
  • favoriser l’autonomie fourragère en implantant des haies pâturables par les bovins

Nous accueillons depuis plusieurs mois, deux jeunes étudiantes vétérinaires qui réalisent sur la ferme leur thèse de doctorat. L’idée est d’évaluer l’importance de la relation homme-animal en élevage et de proposer une méthode d’éducation du troupeau pour les éleveurs. Nos deux thésardes ont déjà de très bons résultats. Le lot de génisses sélectionné pour ces recherches a évolué de façon remarquable pendant les 9 mois de travail. Il est désormais possible de toutes les toucher sur n’importe quels endroits du corps, de leur poser un licol au champs dans le calme et de les déplacer à la main en toute coopération. Je suis époustouflé de ces résultats. Dans ce lot d’animaux, mon travail quotidien a changé. Je me sens en pleine communion avec mes animaux. On ne travaille plus sous la contrainte. Toutes les interventions sur le troupeau se font sereinement dans le calme et la confiance mutuelle. En construisant cette relation avec les bovins, je me sens pleinement dans mon métier d’éleveur.

Nous avons démarré la vente directe. Dans cette aventure, je suis épaulé par Nicolas qui accompagne et soutient mon projet avec ses compétences de chevillard* (*chevillard : grossiste en viande). Il m’aide à améliorer la finition de mes animaux et à monter en compétence dans le travail de la viande après l’abattoir. Raymond (éleveur de porcs cul noir en bio plein air à Hiesse (16) ) me pousse à proposer de la viande aux habitants de Confolens. Il met en avant notre élevage dans son magasin de producteurs et prend le temps d’expliquer les particularités de nos méthodes d’élevage à ses clients. Enfin Baptiste, maraîcher bio à Longré (16), m’a introduit dans son réseau d’AMAP. Sur Angoulême, il m’accueille sur son site de distribution de paniers et nous permet de vendre notre viande. Bel exemple de la solidarité qui existe entre les paysans, tout cela au service du développement des initiatives locales. Nous avons énormément de retours positifs de la part de nos clients et des amis, qui consomment et semblent apprécier les qualités de nos produits. Cela nous apporte beaucoup de satisfaction et de bonheur au quotidien.  Se lancer en vente directe, c’est pour nous plus qu’une simple valorisation de notre travail d’éleveurs, c’est un véritable accomplissement humain.

Ici, à Gorce nous vivons une expérience hors du commun de développement personnel. La puissance de la nature du lieu nous pousse à l’excellence. Nous vivons en harmonie avec le vivant. Je ne pensais pas que l’agriculture pouvait procurer autant d’émotions. Chaque jour, je regarde, j’observe, je m’émerveille… Le soleil, la rosée dans l’herbe, les arbres, les oiseaux, nos vaches,  tous ces éléments forment un tout. Interdépendance.

Voici notre histoire. Vivre à Gorce est une chance unique que nous aimerions partager au quotidien avec vous via ce site internet.